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« Let’s make a deal » : les Etats à l’épreuve de la diplomatie d’affaires (Business Diplomacy) et d’Entreprise (Corporate Diplomacy) (Par Alioune Aboutalib Lô)

Mercredi 21 Mai 2025

La multiplicité des acteurs sur la scène internationale a fait émerger de nouveaux liens et enjeux transnationaux, encore influencés par les Etats, mais mettant aussi davantage en exergue des acteurs nouveaux. Entreprises, ONGs, groupements d’intérêt ou de « simples » individus comme Elon Musk sont désormais capables d’influencer les réalités géopolitiques qui, dans le temps, ont fini de s’imposer à la diplomatie traditionnelle. Cette diplomatie fait aussi face à la multiplicité des enjeux économiques qui ne reléve plus des « low politics » comme autrefois et qui façonnent désormais les relations inter-Etats mais aussi les relations Etats-Entreprises. Ces nouvelles réalités ont fini de rendre la diplomatie plus publique, car n’ayant plus comme cible unique les Etats, mais aussi plus économique. Ce qu’on appelle « diplomatie économique » s’est donc imposée aux Etats à la fois comme un levier économique mais aussi politico-stratégique. Nous sommes désormais à l’ère du “Let’s make a Deal” de Donald Trump et les Etats doivent désormais renforcer leur capacité à défendre leurs intérêts économiques transfrontaliers et leurs entreprises, dans un monde compétitif. Cependant la diplomatie économique est vaste même si les confusions et les restrictions conceptuelles peuvent diverger selon les auteurs. Dans mes travaux de recherche doctorale, j’en ai défini une portée large, allant de l’Economic Statecraft(utilisation des leviers économiques à des fins politiques), à la sécurité économique, en passant par la diplomatie commerciale, le country branding par extension, ainsi que la business diplomacy (ou diplomatie d’affaire) et la Corporate diplomacy (diplomatie d’entreprise). Ce sont principalement ces deux points sur lesquels s’appesantit cet article.

 

Ces deux leviers diplomatico-stratégiques sont désormais au cœur de la politique étrangère. Les sanctions occidentales contre la Russie et certaines de ses entreprises, les “tariffs” de Donald Trump, ou encore les redressements auxquels font face les entreprises étrangères au Sénégal et au Mali depuis les récents changements de régime, ont fini de montrer combien il était nécessaire de construire une diplomatie autour des entreprises, qu’elle relève d’elles-mêmes, ou de leurs Etats. Si Diplomatie d’Affaires et Diplomatie d’Entreprise se marchent sur les pieds des fois ou entretiennent des relations et flux rivaux même dans la théorie, les Etats qui comprendraient leur complémentarité seraient en mesure d’en tirer parfaitement les bénéfices.

 

La diplomatie d’affaires

 

La diplomatie d’affaires est concrètement du ressort des chancelleries, de la diplomatie d’Etat. Elle consiste à mettre les outils et instruments diplomatiques au service des entreprises nationales à l’étranger. Elle mobilise les instruments étatiques (ambassades, ministères, agences publiques) pour promouvoir les intérêts économiques nationaux à l’étranger. C’est une différence fondamentale à mettre en relief, et qui l’oppose, de façon conceptuelle, à la diplomatie d’entreprise qui relève des entreprises. La diplomatie d’affaires vise à faciliter les interactions entre entreprises et Etats accueillants, l’accès aux décideurs publics, la négociation d’accords économiques, à mettre en place une veille stratégique, à prévenir les risques politiques, géopolitiques, économiques et légales pouvant affecter l’exercice des entreprises nationales dans un pays tiers.

 

Elle porte aussi sur la capacité de « monitoring » des diplomates pour détecter les opportunités qui peuvent bénéficier à leurs entreprises, entrepreneurs et investisseurs. Les diplomates d’affaires doivent aussi pouvoir résoudre des différends opposant leurs entreprises à un Etat tiers. Dans un cadre multilatéral, la diplomatie d’affaires doit s’illustrer dans les négociations économiques et défendre les intérêts de son Etat et des agents économiques.

 

La diplomatie d’entreprise : une diplomatie « off-shore » 

 

La diplomatie d’entreprise elle, même si elle peut empiéter sur le rôle de la diplomatie d’affaires, possède un cadre assez particulier. Elle intervient dans la communication stratégique de l’entreprise face à un environnement étranger qu’elle ne maitrise pas forcément d’emblée, et vis-à-vis duquel elle doit construire une image et une réputation capables de faire accepter ses activités aux populations cibles. La diplomatie d’entreprise doit s’assurer aussi de manager efficacement les relations des multinationales par exemple, avec toutes les parties prenantes (gouvernement, ONG, groupements sociaux, médias, activistes etc.). Elle doit faire en sorte que la crédibilité et la légitimité de l’entreprise restent intactes. Les diplomates d’entreprise, qui peuvent être souvent d’anciens diplomates, des personnes bénéficiant de l’expérience du pays d’accueil et de son environnement économique, des experts ou des académiciens, doivent ainsi élaborer des stratégies, allant des outils de Responsabilité Sociale d’Entreprise (RSE) au branding, en passant par le lobbying au sein des autorités publiques, des médias et des ONGs, ainsi qu'aux cellules de veille stratégique. La diplomatie d’entreprise est surtout tournée vers la quête du profit, objectif majeur de l’entreprise, et doit ainsi être dans une posture conquérante et stratégique pour détecter les meilleures opportunités et la meilleure façon d’en faire profiter les entreprises, qu’elles soient de petite, moyenne ou grande taille.

 

La diplomatie d’entreprise est surtout une diplomatie off-shore (pas dans le sens péjoratif du mot), qui s’appuie sur des réseaux qui peuvent aller au-delà de l’officiel et peut être des fois, beaucoup plus efficace que la diplomatie relevant des chancelleries. Elle peut s’appuyer sur des rapports humains de haut niveau, une meilleure connaissance du terrain des réalités politiques, plus de flexibilité et plus de dynamisme. Mais elle doit aussi s’illustrer dans la gestion des risques et de la communication de crise.

 

Si la diplomatie d’affaires et la diplomatie d’entreprise peuvent entretenir des relations de rivalité, chacune d’entre elle peut évoluer dans un cadre à part, avec des outils différents mais doivent aboutir à une finalité commune : celle de faire épanouir l’entreprise et ses activités dans un environnement étranger favorable et réceptif. Cependant, la diplomatie d’entreprise doit toujours, même en gardant une certaine liberté, travailler de façon à rester sous la bannière de l’Etat d’appartenance. L’entreprise doit toujours inscrire ses “actions diplomatiques” en corrélation avec la vision de son Etat. C’est cette prudence qui permettrait de ne pas naviguer de façon clandestine et de ne pas s’exposer à des risques qui peuvent impacter non seulement son exploitation, mais aussi (l’image de) l’Etat auquel il appartient.

 

Par Alioune Aboutalib LO, Ph.D. 

 
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